Le syndrome de Korsakoff est une affection neuropsychiatrique grave, souvent liée à une carence prolongée en vitamine B1 (thiamine), généralement consécutive à un alcoolisme chronique. Il s’agit d’un trouble de la mémoire profond et durable qui s’installe après un épisode aigu appelé encéphalopathie de Wernicke. Ensemble, ces deux affections forment ce qu’on appelle le syndrome de Wernicke-Korsakoff.
Ce syndrome se manifeste par un ensemble de symptômes neurologiques, cognitifs et comportementaux. Certains signes cliniques sont caractéristiques et permettent d’orienter rapidement le diagnostic.
Troubles de la mémoire : le symptôme le plus marquant
Le signe clinique le plus emblématique du syndrome de Korsakoff est l’atteinte massive de la mémoire. Cette altération ne touche pas la mémoire de façon uniforme, mais de manière sélective.
Amnésie antérograde
Il s’agit de l’incapacité à retenir de nouvelles informations. Une personne atteinte du syndrome de Korsakoff peut suivre une conversation, mais oubliera immédiatement ce qui vient d’être dit. Elle pourra par exemple lire un article et en oublier le contenu au bout de quelques minutes. Ce type d’amnésie rend l’apprentissage de nouvelles choses quasiment impossible.
Amnésie rétrograde
Elle touche les souvenirs anciens. Le patient peut oublier des événements personnels qui remontent à plusieurs années, comme des souvenirs familiaux, professionnels ou des lieux familiers. L’amnésie rétrograde peut parfois remonter très loin dans le passé, effaçant des pans entiers de vie.
Mémoire implicite et mémoire procédurale épargnées
Fait intéressant, certaines formes de mémoire, comme la mémoire procédurale (apprendre à faire du vélo, jouer d’un instrument), restent souvent intactes. Cela signifie qu’une personne atteinte peut continuer à accomplir des gestes automatiques ou des routines apprises auparavant, même si elle ne se souvient plus de son apprentissage.
La confabulation : quand l’esprit comble les trous
Un autre signe caractéristique du syndrome de Korsakoff est la confabulation. Le patient invente involontairement des souvenirs pour combler les vides laissés par son amnésie. Ces récits sont souvent cohérents, crédibles et racontés avec assurance, mais totalement faux.
Par exemple, une personne peut expliquer qu’elle est venue à l’hôpital pour rendre visite à un proche, alors qu’elle y est hospitalisée depuis plusieurs semaines. Ce mécanisme de défense inconscient vise à masquer les lacunes mnésiques et à maintenir une certaine continuité du récit personnel.
Les confabulations ne doivent pas être confondues avec le mensonge : elles ne sont pas intentionnelles, et le patient n’a pas conscience de leur caractère erroné.
Désorientation temporo-spatiale
Les patients atteints du syndrome de Korsakoff ont souvent des difficultés à se repérer dans le temps et l’espace. Ils peuvent ne pas savoir quel jour nous sommes, ni dans quelle année, et être incapables de dire où ils se trouvent. Cette désorientation est souvent massive, même dans un environnement familier.
Cette perte des repères temporels et spatiaux contribue à l’isolement social du patient et renforce les risques de fugues, d’errance ou d’accidents domestiques.
Troubles attentionnels et troubles de la concentration
Les capacités d’attention sont fréquemment diminuées. Le patient peut sembler distrait, incapable de maintenir son attention sur une tâche ou une conversation. Ces troubles compliquent l’évaluation clinique, car le manque de concentration peut fausser les réponses aux tests neuropsychologiques.
Dans les formes sévères, le patient peut avoir un discours décousu, ne pas suivre le fil d’une idée ou se perdre dans ses propres phrases. Ces troubles attentionnels aggravent la perception de confusion mentale.
Apathie, repli sur soi et perte d’initiative
Sur le plan comportemental, l’apathie est un symptôme fréquent. Le patient semble indifférent à son environnement, passif, peu enclin à interagir. Il peut rester assis sans bouger pendant des heures, sans se plaindre ni demander quoi que ce soit. Cette inertie est souvent confondue avec une dépression, bien qu’elle relève ici d’un trouble neurologique.
La perte d’initiative est également marquée. Le patient ne s’alimente pas seul, n’exprime pas de besoins spontanés, ne sollicite pas d’aide. Ce repli sur soi peut s’accompagner d’une désaffection pour les activités autrefois plaisantes.
Troubles du jugement et du raisonnement
Le syndrome de Korsakoff entraîne une altération des fonctions exécutives, c’est-à-dire des capacités qui permettent de planifier, organiser, raisonner et résoudre des problèmes. Le jugement est altéré, les décisions peuvent être incohérentes ou inappropriées.
Par exemple, un patient peut insister pour quitter un établissement de soins sans raison valable ou refuser un traitement essentiel. Ces troubles cognitifs rendent le patient vulnérable et justifient souvent une mesure de protection juridique, comme une curatelle ou une tutelle.
Troubles émotionnels
Bien que moins fréquents que les troubles mnésiques, les troubles émotionnels sont présents chez certains patients. Il peut s’agir de labilité émotionnelle (passage rapide du rire aux larmes), d’irritabilité, voire de comportements agressifs.
Chez d’autres patients, on observe une indifférence affective, un manque d’empathie ou une froideur dans les relations sociales. Ces modifications du comportement émotionnel peuvent nuire aux relations familiales et compliquer la prise en charge.
Troubles moteurs et neurologiques associés
Le syndrome de Korsakoff étant généralement précédé par une encéphalopathie de Wernicke, il peut être accompagné de signes neurologiques résiduels. Ces manifestations varient selon les cas, mais on retrouve souvent :
- des troubles de l’équilibre (ataxie)
- une démarche instable
- une faiblesse musculaire
- des tremblements
- des mouvements oculaires anormaux (nystagmus ou paralysie du regard)
Ces symptômes traduisent des lésions cérébrales plus étendues et accentuent la dépendance fonctionnelle du patient.
Anosognosie : la méconnaissance du trouble
Un trait commun à de nombreux patients atteints du syndrome de Korsakoff est l’anosognosie, c’est-à-dire le fait de ne pas avoir conscience de leur état. Le patient nie ses troubles, ne comprend pas pourquoi on l’aide, ni pourquoi il est en institution ou sous surveillance.
Cette absence de conscience du trouble rend la prise en charge plus complexe, car le patient peut refuser les soins, contester les décisions de justice ou s’opposer à son entourage.
Persistance et irréversibilité des symptômes
Dans la majorité des cas, les signes cliniques du syndrome de Korsakoff sont durables et souvent irréversibles. Même avec une prise en charge adaptée, les troubles de la mémoire restent profonds. Quelques rares patients peuvent connaître une amélioration partielle, surtout si le diagnostic a été précoce et si l’administration de vitamine B1 a été rapide et massive.
Cependant, la plupart des personnes atteintes garderont des séquelles importantes et nécessiteront un accompagnement à long terme.
